S’moque

Mocky en vidéoMocky en vidéo, c’est une chance pour les fidèles de ces films impertinents, iconoclastes et provocateurs. C’est aussi un surprenant mariage, celui d’une technologie de pointe et d’un artiste attaché, au-delà des modes, à une certaine époque et à un certain style de cinéma.

J.P.-M. Quand on voit les queues au cinéma, pour un film et pas pour un autre, on ne comprend pas pourquoi. Ce sera la même chose pour la vidéo. Qui va acheter ? On ne sait déjà pas qui va au cinéma, qui est notre public. Il n’y a pas de fidélité envers un auteur. Avec le public, c’est comme une relation entre mari et femme, croyez-moi, j’ai été sept fois marié; parfois, c’était dur de me rendre compte que j’étais avec une femme qui n’appréciait pas, qui n’aimait pas ce que je faisais. Il y ‘a des critiques qui nous soutiennent, mais c’est éphémère, ça ne porte pas de fruits. Dans certains domaines, les gens sont très motivés. Dans les vidéoclubs on ne rencontre pas de passionnés comme dans les boutiques de bandes dessinées, par exemple. Les gens sont tellement sollicités, ils n’ont pas de choix véritable. Il n’y a pas beaucoup de gens qui veulent avoir tous les films de Stroheim comme d’autres collectionnent les timbres-poste; en France, il y a quatre millions de philatélistes, paraît-il. Alors la vidéo, j’étais joyeux au départ et maintenant j’ai l’impression d’être de nouveau entré dans un système commercial. Je suis déçu parce que je croyais que la vidéo ce serait l’avènement du choix. Dans une bibliothèque, on choisit son livre. Dans un vidéoclub, on arrive le vendredi soir et on prend ce qui reste. Certains prennent les cassettes sans regarder. Prenez une ville comme Niort, des types se plaignaient de ne pas voir au cinéma les films de Wim Wenders ou Cassavetes. Aujourd’hui, il y a un vidéoclub, mais ces films-là n’y sont pas, et s’ils y sont ils ne sont jamais loués !

 V. 7. Vous-même, avez-vous un magnétoscope ?

 J.-P.M. Non, je n’ai pas le temps pour l’instant, j’attends qu’on m’en offre un… Et puis s’il y avait tous les films de Stroheim, de Welles, de Bunuel. Je me souviens que Bunuel me disait avec une certaine amertume : «Mais où sont les gens qui aiment les films ?». C’est l’engrenage de la consommation : une fois que j’aurai vendu mes vingt-deux films, que me restera-t-il ?

V. 7. Au cinéma, on reconnaît les auteurs comme vous (ils ont un style, une griffe), mais ils ne sont pas toujours reconnus, c’est-à-dire appréciés comme tels. La vidéo ne serait-elle pas un moyen d’y parvenir ?

 J.-P.M. Elle aurait pu l’être si on avait décidé de thématiser les metteurs en scène, de faire des collections… On devrait pouvoir se procurer chez un éditeur tous les films du même auteur. L’éparpillement, c’est mauvais. Regardez le succès des collections commerciales comme le Fleuve Noir. L’édition vidéo n’a pas été préparée, conçue à l’avance, cela a été la ruée vers l’or, on arrachait des titres à droite et à gauche. Mais d’ici cinq ans, quand les Droits auront expiré, on pourra peut-être rééquilibrer, comme en librairie : si un éditeur a quatre livres de Queneau, un autre deux, le second revend les siens au premier qui finit par avoir l’œuvre complète à son catalogue.

 V. 7. Que pensez-vous de l’utilisation de la vidéo pour les tournages ?

 J.-P.M. Complètement zéro. Un type qui veut contrôler comme ça… Moi je n’ai pas le temps et je n’ai pas envie du tout. De toute façon, le contrôle de la pellicule est impossible : si elle est rayée, il faut retourner une scène… La fabrication de l’image, comme «Tron», je n’y crois pas. Il n’y a pas de perfection possible : quand Visconti tournait «Mort à Venise», lorsque le bateau entre dans le port, la fumée allait toujours dans le sens contraire, il a dû recommencer le tournage soixante jours de suite…

 V. 7. Vous avez dirigé les plus grands, de Bourvil à Fernandel, de Michel Simon à Victor Francen, de Lonsdale à Dufilho. Y a-t-il certains acteurs que vous regrettez de n’avoir pu faire tourner ?

 J.-P.M. Stroheim surtout, et puis Jules Berry. Mais je les ai bien connus, j’étais leur secrétaire à tous les deux, en même temps. J’ai approché toutes mes idoles. Je n’ai pas fait tourner Pierre Fresnay, mais il a été mon client quand j’étais chauffeur de taxi. Pierre Larquey, j’ai tourné avec lui comme acteur, Jouvet également et aussi Raimu. Avec lui, j’aurais pu faire du bon travail ! J’ai approché tous les gens dont j’étais amoureux quand j’étais jeune. J’étais amoureux fou d’Olivia de Haviland, c’est à cause d’elle que j’ai appelé ma fille Olivia. Plus tard, je l’ai rencontrée avec ses cheveux roses de vieille Américaine, ça m’a bouleversé… J’aime beaucoup James Mawson que j’ai rencontré chez lui en Suisse, c’est un fan de mes « Compagnons de la marguerite ». J’ai eu la chance de tourner comme acteur avec le grand Saturnin Fabre, le film s’appelait «Les nuits de Montmartre» et au bout de deux jours on s’est arrêté parce qu’il n’y avait pas de pellicule dans la caméra : épique ! Je regrette également Carette, et puis Gabin qui devait tourner « Le témoin », il venait de faire « L’année sainte » et il n’a pas pu… Harry Baur était mort, Le Vigan exilé en Argentine à cause de ses histoires de collaboration pendant la guerre. En réalité, il était complètement fou. J’ai essayé de le faire rentrer en France pour « La cité de l’indicible peur », il aurait joué le rôle du gendarme que fait Jean Poiret, mais ça n’a pas été possible, les associations de Résistance l’ont empêché.

V. 7. Et Louis de Funès ?

 J.-P.M. Oui, vous connaissez l’histoire de « La zizanie »… On lui proposait beaucoup de choses qu’il n’a pas faites, « Le cactus » ou « Le crocodile » et puis il a vu «La grande lessive» à la TV, il m’a téléphoné, il voulait absolument tourner avec moi. Je lui ai proposé un scénario qui s’appelait «Le boucan» et puis plus de nouvelles, et quand sort « La zizanie », je m’aperçois que c’est mon histoire. J’ai gagné le procès contre quatre avocats prestigieux et contre de Funès qui est venu dire à la barre que j’étais un anarchiste, que je n’aimais pas la justice, la police, etc. Bien avant cela, j’aurais voulu de Funès pour le rôle du policier joué par Francis Blanche dans «Drôle de paroissien» (si cela s’était fait j’aurais constitué le couple Bourvil-de Funès avant «Le corniaud» et «La grande vadrouille»). «Le roi des bricoleurs» était aussi un sujet pour lui, l’histoire d’un gendarme devenu concierge qui bricole aunoir — on n’aurait pas cité Saint-Tropez, mais on aurait compris que, c’était effectivement le même gendarme, un peu plus tard !

 V. 7. Ces personnages cocasses ou émouvants que vous affectionnez, comme vous l’avouez dans la « Lettre du cinéaste » diffusée dans l’émission «Cinéma-Cinémas» d’Antenne 2, c’est bien le petit monde de Mocky ?

 J.-P.M. Ce sont les seconds rôles. Un monde qui disparaît, comme le cirque. Voyez Fellini et Giulietta Masina, ce sont des ringards, ils faisaient les attractions de l’entracte. Je ne suis pas rétro, parce que le cirque n’est pas rétro, il est au-delà du temps : les clowns sont toujours habillés pareil.

 V.7. Quelle est votre attitude face à la modernité, à la technologie. Etes-vous tenté par les jeux vidéo, les ordinateurs ?

 J.-P.M. Tant qu’il s’agit de jouer, je suis passionné. Je ne suis pas comme ceux qui ne peuvent plus aimer une fille sous prétexte qu’elle prend la pilule et qu’elle leur semble «robotisée». Si j’ai un vieux flipper sous la main ça me passionne, s’il est électronique tant mieux. Je ne suis pas rétro, je ne suis pas attaché aux endroits anciens comme Lipp ou Baltard. Chez moi, je n’ai que des disques de valses, mais dans mon prochain film il y aura de la musique de rock…

 V.7. Vous préparez un film sur le football ?

 J.-P.M. Oui, ça s’appellera «A mort l’arbitre». C’est un fait divers très violent, une histoire de supporters qui ont écharpé un arbitre plutôt maso. Des gens calmes au départ, puis qui s’excitent. Le foot, pour eux, c’est une façon de se libérer de leurs complexes. L’arbitre sera joué par Daniel Auteuil. Ensuite, j’ai en projet une vingtaine de courts métrages d’un quart d’heure avec Jean-Claude Remoleux…

V. 7. Ah, l’extraordinaire Remoleux, qu’on voit dans tous vos films et qui était aussi dans «Cinéma-Cinémas»…

 J.-P.M. Justement, cette expérience de tournage rapide, 12 minutes en 48 heures, a été une bonne leçon pour moi. Je n’avais jamais fait de 16 mm. J’aimerais recommencer et tourner cette série très vite, à la fois pour la TV et pour une diffusion vidéo, on pourrait en mettre quatre par cassette. Ce seraient les aventures d’un naïf, une sorte de Candide-Remoleux qui ferait tous les métiers : cambrioleur, bistrot, peintre, coiffeur… Une galerie de caractères comme La Bruyère…

V. 7. Certains burlesques ont exploité ce principe, comme Laurel et Hardy.

 J.-P.M. Avec cette différence que les films de Laurel et Hardy étaient faits pour plaire et que les miens seront faits pour déplaire, comme des révélateurs qui dérangent. J’ai trouvé le titre de ma société : «Les chiens aboient, la caravane passe». Je ferai un générique pompeux comme celui de la MGM avec- un vrai chien et des chameaux qui défilent dans le fond. La série pourrait s’appeler « Mocky s’moque» ou «Bestiaire». Je pense qu’on pourrait vendre les cassettes par correspondance, en souscription.

V. 7. Avec Remoleux et les autres, vous dénichez toujours des personnages bizarres, étonnants…

 J.-P.M. Dans le cinéma d’aujourd’hui, on ne se fait plus de tête. Sur l’écran, on ne voit que des gens de tous les jours. Or, c’est faux, comme ces personnages qui ont un langage « à la mode ». Dans le métro, il n’y a pas que des types qui disent «cool» et «super». Je n’aime pas ça, comme je n’aime pas tutoyer les gens. Aujourd’hui, dans les Maisons de la Culture, on me tape sur le ventre en m’appelant «Mon vieux». Je ne veux pas qu’on m’appelle «Maître», mais enfin… Dans le cinéma aujourd’hui, on meurt de manque de physiques. Je crois beaucoup à un type qui pourrait être un bon comique entre Coluche et Groucho Marx, c’est Gotainer. Je voudrais le faire tourner. Avec «Les aventuriers de l’arche perdue», Spielberg a choisi des gueules bizarres dans l’esprit des années 1930. Aujourd’hui, en France, les types sont tous pareils. Nostalgique du cinéma français des années 1930-1940, jeune comédien avant de se lancer dans la mise en scène, Jean-Pierre Mocky en a gardé le don le plus précieux, ce sens instinctif du spectacle si rare dans les films des années 1980. Les cassettes de ses films enfin disponibles, c’est un vrai bain de jouvence. Profitons-en.

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