Billet sur Beatrice Dalle

Ceux qui trouvent « géééniaaale » les rondeurs populo de Beatrice Dalle, et sa morbide obsession castratrice, ne peuvent supporter que Kim Basinger puisse ramper aux pieds de son amant uniquement pour son plaisir et sans motivations existentielles. Pour les primates de l’érotisme que sont les intellos parisiens, c’est vulgaire et insensé. Ces braves gens n’ont vraisemblablement jamais connu de véritable passion charnelle, qui est à la (tendre) violence ce que le soleil et au Club Méditerranée. De plus, les amants de « Neuf semaines et demie » n’étant ni français ni travelos ni marginaux ne peuvent en aucun cas intéresser la grande critique, bien au-dessus de cette « histoire de cul » où Kim et Mickey prennent un pied pas possible (et communicatif) en s’inventant des émotions super chouettes et librement consenties. Le problème n’est pas de défendre inconditionnellement ce film un peu longuet, un peu tronqué et un peu faiblard par moments, au détriment de « 37° 2 le matin » et « Tenue de soirée ». Il s’agit seulement de réagir contre les grosses bêtises proférées par certains critiques (notons la réserve prudente de Première et se Starfix qui ne sont pas tombés dans l’éreintement excessif de certains hebdos snobo-puritains). Il y a de quoi franchement rigoler. Ne compare-t-on pas « Neuf semaines et demie » aux « Liaisons dangereuses » ou à « L’empire des sens ». On croit rêver. Autant comparer « Belle de jour » à « La dérobade », « La guerre des étoiles » aux « Trois mousquetaires », De Gaulle et Mitterrand, la Vache qui rit et le pont-l’évêque. N’importe quoi. Le pire étant d’oser rapprocher « Neuf semaines et demie » d’« Histoire d’O ». Le grand mot est lâché : sado, masochisme ! Le fouet et l’humiliation, la douleur et l’esclavage. Il n’y a pas de douleur dans le film d’Adrian Lyne. Et le seul esclavage est celui que consent Kim Basinger pour dépasser sa propre notion de la jouissance. Mickey Rourke n’a rien d’un Sir Stephen lorsqu’il promène un glaçon sur le (délicieux) nombril de Kim Basinger. Et Kim n’a rien de 0 lorsqu’elle accepte de s’agenouiller et se laisser bander les yeux. « Histoire d’O » (au cinéma du moins) est un spectacle de cabaret, et « Neuf semaines et demie », une nuit d’ivresse entre la femme que nous voudrions tous aimer et l’homme que nous aurions voulu être. Si Kim proteste quand son amant l’oblige à ramper devant lui, on découvre aussitôt après que la fin justifie les moyens pour connaître des plaisirs inédits. Quand Kim avale, sur fond lumineux de réfrigérateur entrouvert, toutes sortes de symboles érotico-phalliques (une fraise, une cuillerée de crème blanche, une aile de poulet qu’elle suce avidement…) elle n’est pas une esclave, mais une partenaire. Quand Mickey Rourke lui ordonne de se travestir et de le rejoindre habillée en garçon (Blier à l’envers) dans un restau très chic, elle n’est pas esclave, mais complice. Beatrice DalleEt quand Kim glisse sa blanche menotte dans la braguette de son amant, elle n’est pas esclave, mais maîtresse. Ne parlons pas du strip qu’improvise Kim pour son seul amant. Cette séquence perverse (qui fait fondre tous les esquimaux de la salle) ne traite que du bonheur d’être désirée. Et tous ces fantasmes (y compris celui qui pousse Mickey à mettre Kim dans les bras d’une prostituée portoricaine) ne relèvent que des raffinements pratiqués par les amateurs d’érotisme dans les colonnes des revues glorifiant les relations échangistes, les lettres d’amour et autres confessions « d’amateurs» largement évoquées dans ce journal. Conclure, dites-vous ? 1. On n’a plus besoin de prouver l’analphabétisme des êtres les plus cultivés et souvent intelligents quand ils se trouvent face à un univers qu’ils ne comprennent pas, en l’occurrence celui de la passion sexuelle. D’où les déboires, à travers les siècles, des œuvres « dérangeantes », De Sade à Emmanuelle, de « La religieuse » de Diderot à « La garçonne », en passant par « Les liaisons dangereuses » et « Histoire d’O ». 2. Les critiques cotés ne peuvent pas, n’ont pas le droit d’aimer un film, un roman, un spectacle érotique. Leur honneur est en jeu. La loi du silence et du mépris est seule de mise. 3. Une nouvelle race de cinéma est en train de s’imposer, issue des pubs et des vidéoclips, là où les images sont tributaires de la musique, où l’on peint plus la surface que le fond, où l’esthétisme conditionne les pseudo philosophies en kit des créateurs industriels (le cinéma est une industrie) spécialisés dans le haut de gamme franchouillard, déprimant, lymphatique et moribond. Voilà pourquoi, en appréciant Miou-Miou dans « Tenue de soirée » on peut adorer Kim Basinger dans « Neuf semaines et demie », et en admirant Blier, on peut adorer le dernier film d’Adrian Lyne. Voilà pourquoi « Neuf semaines et demie » ne plaira pas aux coincés, aux pas gais, aux gays, aux imbus, aux tordus, aux intellos, aux cul-bénis, aux « fin de race » et aux critiques. Mais 80 000 spectateurs ont quand même vu « Neuf semaines et demie » en une semaine (un bon petit succès confortable qui n’a rien de déshonorant) malgré les méchancetés des éminents confrères de Criticorama, le pays où la vie est moins « chair ». Après toutes les bêtises qu’ils ont racontées, ils méritaient bien celle-là. Même niveau. Même combat.

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